Lutte pour une législation antiraciste

Un article de WikiMrap.

Image:Loi pleven.png
L'affiche reproduisant le texte de la loi de 1972, réalisée par Jean-Yves Treiber (créateur du premier logo du MRAP), a connu plusieurs éditions. Elle a été apposée dans des lieux publics, sur l'intervention des comités locaux du MRAP : mairies, écoles, commissariats. La loi a été aussi éditée en un petit dépliant, avec des conseils en plusieurs langues pour son utilisation.
Carte postale créé lors de la campagne de lutte contre les discriminations du MRAP en 2001. Dessin de Charb, dessinater notamment à Charlie Hebdo.
Carte postale créé lors de la campagne de lutte contre les discriminations du MRAP en 2001. Dessin de Charb, dessinater notamment à Charlie Hebdo.

Dès sa création, le MRAP a senti la nécessité d'une loi pour réprimer le racisme et pour permettre aux associations de se constituer partie civile. En effet, soit beaucoup de procès, faute d'une loi, se soldent par la relaxe des auteurs de délits racistes, soit les actions en justice ne sont même pas entamées.

En 1959, Léon Lyon-Caen, alors Président du MRAP, rédige un projet qui est envoyé à tous les députés et les sénateurs, mais il restera longtemps sans suite.

La problématique à laquelle se confronte le MRAP est symbolisée par plusieurs procès.

Fraternité Française, en juin 1961, a publié un article antisémite de Pierre Poujade attaquant un candidat du 9ème arrondissement de Paris. Le MRAP alertera le Procureur de la République qui intentera un procès, mais en décembre 1961 paraît un second article dans Fraternité Française intitulé « Le régime et les juifs. Pierre Poujade inculpé d'antisémitisme. Un comble ! ». Pierre Poujade accuse le MRAP d'exciter la haine raciale et attaque l'association pour diffamation. Le procès est jugé à Limoges en octobre 1962, où Pierre Poujade et Fraternité Française se verront condamnés chacun à 2000 nouveaux francs (300 euros). Mais Pierre Poujade et le Directeur de Fraternité Française font appel, et en mars 1963, la Cour d'appel casse le jugement de première instance et se range aux arguments de l'avocat de Pierre Poujade selon lequel l'article incriminé ne s'attaquait pas à tous les juifs, mais à une personne en particulier (le candidat aux élections dans le 9ème arrondissement de Paris).

En novembre 1962, le même Fraternité Française s'attaque à Maître Armand Dymenztajn, venu faire une conférence sur le procès à Limoges. Il portera plainte contre le journal mais sera débouté car la phrase l'incriminant est tournée de telle manière qu'on ne peut affirmer qu'il est personnellement visé.

En novembre 1963, Marc Augier, un ancien collaborateur sous l'occupation de la France par les Allemands, publie sous le pseudonyme de « Saint-Loup » une apologie de la Luftwaffe. Le MRAP et des associations de résistants et de déportés demandent en vain l'intervention du Ministère de l'intérieur, invoquant l'interdiction d'apologie de crimes de guerre. Mais le Parquet ne s'estimera pas compétent.

En mars 1964, Paul Rassinier, un négationniste notoire, sous le pseudonyme de Jean-Pierre Bermont, nie dans Rivarol l'existence des chambres à gaz (la mortalité dans les camps de concentration serait due selon lui aux prisonniers qui se volaient la nourriture !). Attaqué pour diffamation, il est jugé et condamné en octobre 1965, mais ce sont les résistants qui ont dû faire la preuve, témoignages à l'appui, de leur honnêteté !

En novembre 1965 éclate l'« affaire de Bagneux ». Une adolescente prétend avoir été violée par quatre Nord-Africains, puis dément trois jours plus tard. Le journal d'extrême-droite Minute décrit alors les Maghrébins comme des brutes sanguinaires et se lance dans une campagne contre « la criminalité des Nord-Africains ». A la suite d'une plainte de deux Algériens, le procès débute en juin 1967 mais la plainte sera jugée irrecevable, y compris en appel.

En juin 1969, la revue du MRAP Droit et Liberté démonte l'argumentaire raciste d'un journaliste de Minute, Pierre Desmaret. Ce dernier poursuivra le MRAP pour diffamation, mais sera débouté.

A chaque élections législatives, le MRAP envoie ses propositions de loi aux députés et aux sénateurs. Il demande une extension des poursuites à toutes les formes de discrimination et de diffamation, la dissolution des groupes fascistes, et - avancée considérable - la possibilité pour les associations de se constituer partie civile. Le MRAP fait signer des pétitions et continue d'envoyer sans succès ses proposition aux parlementaires (notamment en 1963 et 1966, après l'« affaire de Bagneux »).

Le 7 janvier 1971, dans le contexte de l'« affaire du Latin musique »[1], une délégation du MRAP est reçue par le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas et lui demande que la proposition de loi contre le racisme soit inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée. Même si cette proposition n'a pas été suivie d'effet, l'année 1971 a été décrétée année internationale contre le racisme et la France a ratifié la même année la Convention de l'ONU sur l'élimination de toutes les formes de discriminations raciales de 1965.

La loi contre le racisme est finalement examinée par l'Assemblée nationale le 7 juin 1972. La LICA demandera dans un projet concurrent déposé au sénat que seules les associations reconnues d'utilité publique puissent se porter partie civile ; le MRAP propose que seules les associations ayant plus de cinq années d'existence puisse le faire. C'est finalement cette dernère option qui sera choisie et le 22 juin 1972, après plus de 20 ans de lutte, le MRAP obtient une loi contre le racisme, dite « loi Pleven ».

Albert Lévy écrit dans "Droit et Liberté" n°313: "Ainsi s'achève sur une victoire pleine et entière, une bataille de treize années. En dépit de quelques péripéties et de quelques modifications mineures, c'est le projet élaboré par la Commission juridique du M.R.A.P., sous la direction du président Lyon-Caen, qui s'inscrit aujourd'hui dans le Droit."

Cette loi sera complétée par la suite, notamment par la « loi Gayssot », qui étend l'application des poursuites au négationnisme.